Emeraude
L’émeraude, pierre de légendes et de traditions
Avec le mois de septembre, s’annonce pour bientôt le temps des frimas et des factures de chauffages qui vont avec, pas de quoi rire au niveau du budget familial. Je vais donc essayer avec vous de mettre un peu de rêve dans la morosité ambiante et nous allons parler de l’émeraude.
Oui, question budget, je suis d’accord, cela peut parfois y faire un sacré trou, par exemple…
…cette tiare en émeraudes et diamants qui s’est littéralement envolée à une vente aux enchères chez Sotheby pour la modique somme de 12,7 millions de dollars.
Je vous avais promis du rêve, en voilà !
Plus prosaïquement, l’émeraude est un silicate de béryllium, d’aluminium et de chrome avec de possibles inclusions de divers autres éléments comme le fer et le vanadium. Elle appartient au système cristallin hexagonal et à la prestigieuse famille des béryls, où elle côtoie allègrement, excusez du peu les aigues-marines (béryl bleu), les morganites (béryl rose), les héliodores (béryl jaune) et autres bixbites (béryl rouge), rien que du beau monde donc !
C’est le chrome qu’elle contient qui donne à l’émeraude son inimitable couleur verte. Sa dureté, de 7.5 à 8 sur l’échelle de Mohs pourrait suggérer que l’émeraude est une pierre dure. Or, elle est bien connue des joailliers pour présenter une fragilité certaine. Ce défaut est lié à l’ordonnancement des atomes de l’émeraude dans lequel un oxyde de chrome remplace un oxyde d’aluminium : quand on veut la couleur, il faut accepter de perdre en solidité… Cette particularité chimique fait aussi qu’elle comporte très souvent (pour ne pas dire toujours) des inclusions. La présence de ces inclusions est tellement courantes qu’elles sont devenues une des caractéristiques pour identifier à coup sûr une émeraude : en général, les lapidaires considèrent qu’une émeraude pure, sans inclusions, d’un carat (soit 1/5e de gramme) relève de l’utopie la plus complète.
Pour l’Histoire, Jules César collectionnait les émeraudes et Charlemagne les portaient en couronne. Plus tard, après la découverte de l’Amérique du Sud par les conquistadors espagnols et leur pillage des ressources naturelles (déjà !), des émeraudes fabuleuses apparaissent en Europe, comme ce vase de 12 cm. de haut taillé dans une seule pierre et qui fait partie du Trésor de Vienne. Son poids ? Pas moins de 2.205 carats, continuons donc à rêver…
… avec cette couronne de Notre Dame de la Conception, offerte en dévotion par les habitants de la ville de Popayán, en Colombie, pour avoir été sauvés d’une épidémie de peste qui dura 3 ans. Sa réalisation demanda le travail de 24 orfèvres pendant 6 ans. Elle est constituée d’un seul bloc d’or massif ciselé de 22 kg et ornée de 453 émeraudes pour un poids total de 1.521 carats. La légende dit que l’émeraude centrale était celle d’Atahualpa, le grand Inca assassiné par ordre de l’espagnol Pizarro en 1533. Elle est encore actuellement considérée comme le plus beau travail de joaillerie au monde. Vous comprendrez qu’elle est qualifiée d’inestimable dans tous les sens du terme…
« Il n’est point de couleur plus agréable à l’œil que celle de l’émeraude. Car quoique l’on prenne un grand plaisir à considérer la verdeur des herbes et des feuilles, on en goûte infiniment davantage à contempler les émeraudes, parce qu’il n’est pas de verdeur qui approche de la leur. De plus, elles sont les seules pierres qui contentent la vue sans la lasser. Et même lorsque les yeux sont affaiblis pour avoir regardé attentivement quelque chose, la vue d’une émeraude les soulage et les fortifie ».
Que voilà une introduction parfaite et une transition inespérée entre le rêve et la réalité !
Ces phrases ne sont pas de moi, bien sûr, mais de l’auteur latin Pline (23 -79 EC) dans son « Histoire naturelle », livre XXXVII, chapitre XVI (cité par Elie Charles Flamand dans son livre « Les pierres magiques », édition Le courrier du Livre 1990, page 66.
Dans ses propriétés lithothérapeutiques, l’émeraude fait partie des plus vieux lapidaires et c’est vraiment une pierre à qui l’on peut reconnaître des vertus empiriques, c’est-à-dire basées sur l’expérience et l’usage qui en a été fait au fil des temps et non sur des éléments scientifiques.
C’est ainsi qu’elle soutient le système immunitaire, le système digestif, le foie, le pancréas, les reins, et l’ensemble du système cardio-vasculaire. Elle passe aussi pour apporter connaissance, savoir, intelligence, sagesse et éloquence. Ses vertus sont encore bien plus vastes et heureusement dans cette longue liste de mérites, on lui reconnaît celui de trouver le sens des choses…
Par contre, elle semble avoir les défauts de ses qualités : la légende en fait la pierre frontale de Lucifer, qui la perdit lors de sa chute après sa révolte contre Dieu. Elle tomba sur terre et fut plus tard offerte à Salomon par la reine de Saba. On la tailla en calice et Joseph d’Arymathie finit par en hériter. C’est dans cette coupe qu’il récupéra le sang du Christ au moment de la Passion, après qu’elle eut servit lors de la Cène. Joseph d’Arimathie l’apporta avec lui en Bretagne, puis elle disparut mystérieusement : le Graal était né…
Si Pline la recommandait pour les yeux, elle était incontournable pour Rabelais dans les entreprises amoureuses :
« La braguette de Gargantua était fixées par deux crochets d’émail, en un chacun desquels était enchâssée une grosse émeraude de la grosseur d’une pomme d’orange. Car ainsi que dit Orphéus (Libro de Lapidibus) et Pline (Libro ultimo), elle a la vertu érective et conformative du membre naturel »… (Sic !) Rabelais, Gargantua, livre I, chapitre VIII.
Mais attention, pas de précipitation inconsidérée : la règle des contraires fait de l’émeraude la pierre de la chasteté : elle perd son éclat quand on se livre aux plaisirs charnels, elle casse si une vierge se donne pour la première fois, elle perd sa couleur dès que l’amant qui l’a offerte est infidèle !
Alors, réfléchissez bien avant de faire un achat inconsidéré…